Des lentilles gravitationnelles fortes pour une mesure plus précise de l’Univers ?

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Lorsqu’il est question d’expansion de l’Univers, les cosmologistes ne débattent plus de savoir si oui ou non l’Univers s’étend. Ils se demandent à quelle vitesse il le fait. Car deux mesures donnent des résultats différents. Ils comptent donc désormais sur les lentilles gravitationnelles pour enlever enfin cette épine de leur pied.

L’Univers est en expansion. Pour les cosmologistes, c’est désormais un fait acquis depuis près d’un siècle. La question qui demeure est la suivante : à quelle vitesse cette expansion se déroule-t-elle ? Car les deux méthodes — basées sur les supernovae SN ou sur des mesures du rayonnement fossile — traditionnellement employées pour estimer la valeur de la constante de Hubble — cette constante qui traduit justement l’expansion de l’Univers — donnent des résultats différents : 73 kilomètres par seconde par mégaparsec pour l’une, 67 km/s/Mpc pour l’autre.

Voir aussiEt si l’expansion de l’Univers n’était pas la même dans toutes les directions ?

Aujourd’hui, une équipe de chercheurs dévoile les résultats obtenus à partir d’une nouvelle méthode indépendante des deux premières. Ou plutôt à partir de la révision d’une méthode ancienne grâce à des hypothèses et à des données supplémentaires. Une méthode basée sur ce que les astronomes appellent les lentilles gravitationnelles fortes.

Cette méthode compte sur les images multiples produites lorsque la lumière issue d’un objet lointain rencontre, sur son parcours, un objet très massif, une galaxie, par exemple. La gravité dévie alors suffisamment cette lumière pour faire apparaître des images multiples de l’objet. Et il suffit que la galaxie lentille soit un peu excentrée pour que ces images apparaissent en plus légèrement désynchronisées en fonction de la longueur des différents trajets finalement parcourus par la lumière.

Or les mesures de décalage dans le temps et les modèles de répartition de la matière dans les galaxies lentilles semblaient être devenus suffisamment précis pour que ce phénomène puisse servir à estimer directement les distances dans l’Univers. Et les cosmologistes avaient réussi à en déduire une nouvelle mesure de la constante de Hubble à 73 km/s/Mpc, avec une précision de 2 %.

Un résultat, malgré tout, qui gardait une part d’incertitudes. Pour aller plus loin, l’équipe de chercheurs dont il est question aujourd’hui, a choisi de retravailler l’estimation en fondant non plus les masses et les structures des galaxies responsables des effets de lentille gravitationnelle sur des modèles, mais sur des observations.

Une première analyse basée sur sept lentilles gravitationnelles fortes donne un résultat de 74 km/s/Mpc entaché d’une grande incertitude. Une seconde, ajoutant 33 lentilles gravitationnelles fortes supplémentaires avec des propriétés similaires, donne un résultat de 67 km/s/Mpc avec une incertitude cette fois de 5 %. « Ces analyses n’invalident pas les hypothèses de profil de masse des travaux précédents. Elles démontrent cependant l’importance de bien comprendre la distribution de masse dans les galaxies, commente Simon Birrer dans un communiqué du National Accelerator Laboratory de l’université de Stanford (États-Unis). Notre étude n’est qu’une première étape qui ouvre la voie à l’utilisation d’un ensemble de données plus précises à venir pour fournir une conclusion définitive au problème de la constante de Hubble. »

Pour en savoir plus

Deux méthodes différentes donnent des estimations, elles aussi, différentes de la constante de Hubble alors qu’elles ne le devraient pas. Une troisième méthode est en cours de développement, basée sur les quasars. Elle pourrait introduire une nouvelle physique.

Article de Laurent Sacco paru le 25/01/2019

Lorsque l’on appliquait les lois de la mécanique céleste de Newton au calcul précis de l’orbite de la planète Mercure, il restait un léger mouvement anormal concernant la précession de cette orbite. Et cela, malgré la prise en compte de l’influence gravitationnelle de plusieurs planètes. Aujourd’hui, on sait rétrospectivement que cela signalait l’existence d’une nouvelle physique, celle de la relativité générale. Mais, cela aurait pu s’expliquer aussi par la présence d’une planète encore non détectée entre le Soleil et Mercure. Ou plus simplement, parce que la forme de notre étoile était plus éloignée de celle d’une sphère en équilibre hydrostatique du fait de sa rotation ; ce qui changeait le calcul des forces gravitationnelles qu’elle exerçait sur Mercure. Dans ces deux derniers cas, la physique ne nécessitait aucune révolution.

Actuellement confrontés à un problème similaire dans le domaine de la cosmologie, les astrophysiciens sont perplexes depuis quelques années. Nous savons que l’Univers est en expansion selon la loi de Hubble-Lemaître, ce qui fait intervenir la fameuse constante de Hubble (laquelle n’en est pas vraiment une, mais c’est un autre sujet). Cette constante, donnant le rapport entre le décalage spectral d’une galaxie et sa distance à la Voie lactée, peut s’estimer de plusieurs façons. On peut se servir des supernovae SN Ia, comme l’on fait les découvreurs de l’expansion accélérée du cosmos observable, ou encore se servir des mesures du rayonnement fossile fournie par la mission Planck.

Une vidéo expliquant le principe de la démultiplication des images d’un quasar par le champ de gravitation d’une galaxie déviant les rayons lumineux. © Royal Astronomical Society, ESA, Nasa

Dans le premier cas, se trouve une valeur d’environ 72 km par seconde par mégaparsec (un mégaparsec représente environ 3,3 millions d’années-lumière) ; mais, dans le second cas, se révèle une valeur d’environ 67 km par seconde par mégaparsec. Bien que tenant compte des incertitudes, et en vérifiant les biais et des erreurs possibles, les équipes travaillant sur ces deux méthodes de mesure, démontrent qu’il existe une tension entre ces deux valeurs. Cette tension suggère, soit une erreur restée non identifiée par l’une des équipes ; soit, et c’est plus intéressant, l’existence d’une nouvelle physique modifiant les prédictions basées initialement sur le modèle cosmologique standard, avec de la matière noire froide et une vraie constante cosmologique.

Pour tenter d’y voir plus clair, et depuis quelques temps, une autre méthode est utilisée pour mesurer la constante de Hubble en se servant de l’effet de lentille gravitationnelle sur des quasars lointains. Des quasars observés, et dont l’image était quadruplée par cet effet de lentille, avaient été ainsi mis à contribution. Récemment, et comme le prouve un article sur arXiv, la méthode a également été testée avec un quasar dédoublé par le même effet  : SDSS J1206+4332. Le résultat d’une observation unitaire est moins précis ; cependant, les quasars « doubles » sont plus nombreux que de quasars « quadruples » ; à terme, une information plus significative devrait pouvoir s’obtenir en multipliant les observations.

Pour comprendre l’idée derrière la méthode, rappelons qu’il y a de sérieuses raisons de penser que les quasars sont en réalité des trous noirs supermassifs, rendus très lumineux par l’accrétion d’importantes quantités de matière. Leur luminosité fluctue en raison même de la physique des processus liés à l’accrétion et à la génération de rayonnement. En raison de son champ de gravitation, une galaxie massive qui s’interpose entre ce rayonnement et nous, va donc dévier les rayons lumineux, produisant un effet de lentille, de sorte qu’ils ne suivront pas les mêmes chemins et ne parcourront pas les mêmes distances.

Qualitativement et quantitativement, les temps de parcours sont affectés par l’expansion de l’univers observable. Et, in fine, l’effet de lentille gravitationnelle va se manifester par des images d’un même quasar qui vont varier en luminosité avec des décalages dans le temps. Il est donc possible de déduire de ces décalages, une vitesse d’expansion et par conséquent, la constante de Hubble.

C’est donc cette méthode qui a été appliquée au quasar SDSS J1206+4332 par la collaboration H0LiCOW (H0 Lenses in COSMOGRAIL’s Wellspring). Dans le cadre de ce projet international en cosmologie, mené par l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et le Max Planck Institute, les données ont été obtenues avec les télescopes Hubble, Gemini, Keck ainsi qu’avec le programme COSMOGRAIL (COSmological MOnitoring of GRAvItational Lenses) qui utilise principalement le télescope suisse de 1,2 mètre situé dans les Andes chiliennes, à proximité des observatoires de l’ESO.

Les chercheurs ont obtenu comme résultat préliminaire, là aussi, une valeur d’environ 72 km par seconde par mégaparsec, tendant à confirmer la mesure obtenue avec les supernovae SN Ia. Un désaccord d’environ 8 % sur la constante de Hubble persiste donc. Nul ne sait encore vraiment ce que cela signifie…

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