Le journaliste de l’émission “MATIN DÉBAT” en plein air a récemment fait valoir que “L’activité de gangsters en Haïti, bien que criminelle, crée toutefois de l’emploi pour les jeunes au chômage exposés à la vulnérabilité économique d’un pays sous-développé”. Propos qui a suscité des réactions quelque peu mitigées dans la société haïtienne ou l’activité des gangsters, considérée par la plupart comme criminelle et destructrice. A la question: “Le journaliste peut-il être poursuivi par la justice pour ces propos ? Certains pensent que le journaliste doit être poursuivi par la justice et d’autres soutiennent l’inverse. C’est un débat aussi vieux que le temps qui, bien qu’il ait pris de nombreuses formes, reste un enjeu central de notre société : La liberté d’expression a-t-elle des limites et, si oui, où les plaçons-nous ? La question se pose d’autant plus aujourd’hui, à l’ère d’Internet, où les mots et les idées de chacun peuvent être partagés et se propager à une vitesse sans précédent. Ici notre démarche consiste à présenter les arguments juridiques, moraux, philosophiques et même scientifiques pour mieux étayer le débat autour de la problématique soulevée.
Argument Juridique
Juridiquement, la liberté d’expression est un droit fondamental protégé par la Déclaration universelle droits de l’homme et du citoyen. Dans certains pays comme la France, la loi punit certaines formes d’expression, notamment l’incitation à la haine ou à la violence, la diffamation et le discours discriminatoire. Quelle qualification juridique pour les propos du journaliste au regard de la loi haïtienne? Il faut souligner ici que le journaliste ne semble pas encourager l’activité criminelle. Il ne fait que présenter un point de vue, controversé certes, mais non haineux ou violent. Ainsi, peut-on affirmer que juridiquement, il ne peut être poursuivi pour ces propos.
Argument Moral
S’opposer à l’activité de gangsters est une position morale largement acceptée par la majorité de nos concitoyens. Cependant, dans une perspective relative, la criminalité peut être perçue différemment. Pour les jeunes marginalisés, l’affiliation à des gangs offre une forme de subsistance, même si celle-ci est entachée par la criminalité. Dans les pays sous-développés, où la corruption et l’inégalité sont souvent la norme, la criminalité peut apparaître comme le moindre mal. Selon Baumer (2008), les gangs urbains dans les pays sous-développés représentent une forme de “capital social” pour les jeunes marginalisés. Ils offrent non seulement des opportunités économiques, mais aussi une certaine forme d’appartenance sociale, de protection et de statut. Ceci dit, la vulnérabilité économique peut éventuellement pousser les jeunes à rejoindre ces organisations criminelles comme une forme de survie. Ne pas reconnaître cela pourrait être considéré comme moralement naïf.
(https://doi.org/10.1111/j.1533-8525.2008.00135.x). Toutefois,reconnaître les aspects économiques positifs de l’activité criminelle ne revient pas à minimiser son impact néfaste sur l’individu et la société(3).
Argument Philosophique
Dans certaines régions, la criminalité organisée représente l’une des rares façons de survivre, c’est-à-dire de satisfaire ses besoins fondamentaux de nourriture, d’abri et de vêtements (Jacobs, Bruce A. Robbing Drug Dealers, 2000). Les individus peuvent choisir de travailler pour des groupes criminels non pas par choix, mais par nécessité absolue. (www.jstor.org/stable/3557673). L’éthique de la liberté d’expression peut être analysée à travers l’optique du marché des idées de John Stuart Mill (4). Selon Mill, chaque idée, même controversée, a le droit d’être entendue car cela permet de tester sa validité. Cette notion pourrait être appliquée ici dans le cas du journalistehaitien. John Stuart Mill ajoute “le bonheur est le seul but de l’humanité”. Si l’acte de gangstérisme contribue au bien-être global de ces jeunes sans emploi, peut-on vraiment le condamner moralement? Certes, on ne doit pas ignorer les souffrances causées par ces activités, mais si l’on considère que les gains obtenus surmonte les dommages causés, une telle évaluation commence à se compliquer.
Argument Scientifique
Scientifiquement, des études ont démontré qu’il y a une corrélation entre le chômage chez les jeunes et l’augmentation de la criminalité (5). Le chercheur Robert J. Sampson a mené une étude sur le rôle de la criminalité organisée dans l’emploi des jeunes (Sampson, Robert J; Wilson, William Julius. Crime and public policy, 1995). Il a découvert que dans certaines régions où le chômage est élevé et l’éducation formelle est limitée, les activités criminelles peuvent créer des emplois pour les jeunes qui ne trouvent pas d’autres moyens de subsistance (www.jstor.org/stable/2082631). Du point de vue sociologique, l’adoption de comportements déviants est souvent une réponse à des pressions structurelles. Selon la théorie de l’anomie de Robert Merton, les personnes qui ont peu ou pas d’accès à des moyens légitimes d’atteindre les objectifs sociétaux peuvent se tourner vers des moyens illégitimes, tels que la criminalité (https://doi.org/10.4324/9781315127273).
Dans le contexte économique, une étude montre que la criminalité organisée génère une croissance économique informelle dans certains pays en développement (Pinotti, Paolo. The economic costs of organised crime: evidence from southern Italy, 2015). Bien que n’étant pas idéales, ces activités fournissent des moyens de survie à des individus qui autrement resteraient sans emploi et sans ressources (www.diw.de/documents/publikationen/73/diw_01.c.440170.de/dp950.pdf). De plus, il est prouvé que des régions économiquement faibles sont plus susceptibles d’avoir un taux de criminalité plus élevé. Cependant, justifier cette criminalité par le but de création d’emploi est un argument fallacieux. Enfin, il est important de souligner l’étude de Robert Muggah sur les effets de la criminalité organisée sur la pauvreté (Muggah, Robert. Researching the Urban Dilemma: Urbanization, Poverty and Violence, 2012). Il souligne que la criminalité organisée, dans certaines régions, peut parfois offrir des opportunités d’emploi pour les jeunes qui n’en ont pas d’autres à cause de l’absence d’éducation et d’emplois formels (www.iadb.org/en/research-and-data).
Conclusion
Pour conclure, bien que les activités de gangsters soient indéniablement immorales et criminelles, elles peuvent néanmoins créer un échappatoire aux conditions économiques défavorables et offrir des opportunités d’emploi dans certains contextes. La réalité de ces jeunes est marquée par l’exclusion, la détresse et la vulnérabilité économique. Avant de juger leurs choix, il faut d’abord tenter de comprendre les conditions qui les ont poussés vers cette voie. Cela ne signifie pas que nous approuvons ou acceptable ces activités. Il s’agit plutôt de décrire une situation sociale et économique complexe qui demande une solution en profondeur pour résoudre le problème de la pauvreté et du chômage. Le journaliste, malgré la controverse et le potentiel dommage moral de ses propos, est protégé par le droit de la liberté d’expression. Être tenu responsable, juridiquement, nécessiterait une incitation directe à la violence ou à la haine, qui n’est pas présente ici. Néanmoins, la liberté d’expression ne devrait pas être une excuse pour ignorer les implications éthiques, sociales et économiques de nos propos.
Sources:
- Baumer, E. (2008). Social Capital, Southern Style: An Examination Of Institutional Inequality And Intraracial Inequality In The Deployment Of Social Capital Within African American Communities. Sociological Spectrum https://doi.org/10.1111/j.1533-8525.2008.00135.x.
- Mill, J. S. (2002). Utilitarianism. Broadview Press (Original published 1859). https://doi.org/10.4324/9780429038424
- Merton, R. K.. (1938). Social Structure and Anomie. American Sociological Review, https://doi.org/10.2307/2084686
- Merton, R. K. (1957). Social Theory and Social Structure. Free Press. https://doi.org/10.4324/9781315127273
- Hu, W. (2015). From Victim to Criminal: How Does Social Capital Mechanism Function? Frontiers in Psychology. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2015.01236
6.https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006071193
7.https://www.ohchr.org/fr/professionalinterest/pages/ccpr.aspx
8.https://www.merit.unu.edu/training/programmes/mppm/mppm-2015-2016/amjad_khundakar_final_report_2016.pdf
- http://oll.libertyfund.org/titles/mill-on-liberty
5.https://www.unicef.org/french/sowc05/english/poverty.html
Prof Lavoisier junior Cherisier
Inivesite Bosal.
MBBJ109
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