Quand Jésus devient producteur exécutif de Frè Gabe !

Critique du titre « Papa m son King » — Frè Gabe ft Ed Dagodseed (Anciennement Ed Dalirik).
Il faut le dire sans tourner autour : « Papa m son King » est du rap lourd. Un rap travaillé, charpenté, avec cette science du flow qui rappelle la grande époque du hip-hop : old school dans l’esprit, moderne dans le son, précis dans la technique. Les placements sont nets, les métriques sont tenues, les rimes claquent. On n’est pas dans le rap dilué, pas dans la pop maquillée, ni dans le rap édulcoré pour plaire à la radio. Non. C’est du rap pur, avec ses codes, sa rage, sa rythmique et son corps. Et quelque part, heureusement que ce titre n’évolue pas dans le grand monde showbiz de l’HMI, là où la compétition se fait à coup de hits sucrés, d’albums pour la rentrée et de combats d’ego. Parce qu’avec ce niveau-là, certains rappeurs auraient eu de sérieux maux de tête.
Mais vient la question essentielle, celle qui dérange et qui mérite un article entier : à qui est dédié ce rap ? À qui parle Frè Gabe ? À quel public s’adresse cette avalanche de technique au service d’un message évangélique ? Car si l’artiste revendique Jésus comme King, les images disent autre chose. On y retrouve les codes du rap hardcore : bandanas, gestes martiaux, simagrées de soldats de rue, cette esthétique nerveuse qui appartient au hip-hop avant d’appartenir au gospel. Et là, un paradoxe s’installe. Si le titre vise les chrétiens, on peine à imaginer le chrétien lambda adhérant à ce langage sonore, visuel et symbolique. Si le titre vise les non-chrétiens, censés être touchés par la bonne nouvelle, l’approche reste agressive, parfois provocatrice, parfois trop frontale. Et le clash contre les rappeurs « du monde » — comme on dit dans l’Église — interroge encore plus l’intention réelle du morceau.
Alors, à qui s’adresse vraiment « Papa m son King » ? La réponse la plus honnête semble être celle-ci : à Frè Gabe lui-même. Ce morceau, au-delà de sa proclamation religieuse, fonctionne avant tout comme une carte de visite artistique, une stratégie de visibilité, un produit culturel qui utilise Jésus comme argument promotionnel. Il y a du talent, indéniablement. Il y a du travail. Mais il y a aussi un marché, une place à prendre, un public à conquérir, et une image à rentabiliser. Le rap chrétien est devenu une niche, et ce titre ressemble à un placement commercial dans cette niche — un moyen d’exister, d’être vu, d’être streamé.
Frè Gabe prêche, certes. Mais il se vend aussi. Et peut-être que c’est là, au final, le cœur du débat : est-ce encore un message spirituel, ou tout simplement un produit ? La question reste ouverte. Et l’auditeur, comme toujours, décidera de la réponse.
Ricardo Tcardo Nicolas

