Camp-Perrin : terre d’élèves… mais orpheline d’université !
Camp-Perrin est sans doute l’un des coins les plus dynamiques du Sud d’Haïti en matière d’éducation fondamentale. Commune de plus de 40 000 habitants. Son réseau d’écoles écoles primaires, secondaires, centres d’alphabétisation, constitue un socle éducatif solide. Mais ce constat encourageant s’arrête abruptement là : pour tout ce qui est études supérieures, la commune reste dépourvue d’infrastructures. Aucun institut universitaire, aucune faculté locale, aucune option de haut niveau accessible sur place. Résultat : une génération entière de jeunes brillants se retrouve contrainte de quitter la zone pour espérer étudier, quand les moyens le permettent, ou d’abandonner, faute d’offre adaptée.

Cette réalité, c’est celle que m’a décrite l’éducateur et citoyen engagé Rolin Saint-Vil lors d’une rencontre récente. Pour lui, l’absence d’une institution supérieure à Camp-Perrin creuse une brèche grave dans le parcours éducatif local. Chaque année, des jeunes obtiennent leur 9ᵉ année fondamentale, passent le secondaire, réussissent ; le taux de réussite du district scolaire de Camp-Perrin à l’examen de 9ᵉ année a été de 77 % selon les données officielles. Voilà un vivier humain réel, capable, désireux d’apprendre, de construire. Et pourtant, sans université, ce vivier se vide, les cerveaux s’en vont, l’espoir se disperse.
Pourquoi Camp-Perrin a droit à son université ?
1. Il y a déjà la base humaine et scolaire.
Quand une commune affiche des taux d’admission élevés à l’école fondamentale, cela signifie que les enfants réussissent à acquérir un socle solide. Pour une région comme la nôtre, ce n’est pas anodin. Cela montre la discipline, le sérieux des familles, la valeur accordée à l’école. Transformer ce socle en pipeline vers l’enseignement supérieur est juste logique, c’est construire sur ce qui existe déjà.
2. Retenir le capital humain, briser l’exode intellectuel.
Chaque année où un jeune quitte Camp-Perrin pour aller étudier ailleurs, c’est un peu de la commune qu’on emmène. Les rêves, les talents, l’énergie, la vitalité. Le départ des jeunes crée ce qu’on pourrait appeler un « exode étudiant », mais c’est surtout un exode de potentiel, d’avenir. Une université locale, ou même une antenne d’enseignement supérieur, permettrait de retenir ces talents, de les transformer en ressources pour le développement local, d’éviter la fuite des cerveaux.
3. Justice territoriale et équité éducative.
Il ne peut pas exister en Haïti des centres urbains favorisés avec des universités, et des communes rurales comme Camp-Perrin, si bien scolarisées, exclues du parcours supérieur simplement parce qu’elles sont en périphérie. L’accès à l’enseignement supérieur ne doit pas être un privilège géographique. Offrir une structure à Camp-Perrin, c’est rendre effectif le droit à l’éducation pour ses jeunes.
4. Impact socio-économique local.
Une université locale ne formerait pas uniquement des diplômés — elle stimulerait l’économie locale : logements pour étudiants, commerces de proximité, services, emplois d’enseignants, d’administratifs, d’entretien. Elle faciliterait aussi des formations adaptées aux réalités de la région : agriculture, agro-écologie, agro-business, gestion rurale, artisanat, développement communautaire. Cela pourrait contribuer à freiner l’exode rural, à revitaliser le tissu social et à offrir des perspectives de développement durable.
5. Risque pour l’avenir national : renoncer à la cohésion éducative.
À l’échelle nationale, l’enseignement supérieur en Haïti souffre déjà de nombreuses faiblesses : un enseignement concentré dans les grandes villes, un déficit d’encadrement, des disparités d’accès, une fuite des cerveaux massive. En refusant de développer l’enseignement supérieur dans les communes comme Camp-Perrin, c’est une partie du pays qu’on exclut du progrès. C’est sacrifier l’équité, la diversité des territoires, l’avenir collectif.
Le plaidoyer de Rolin Saint-Vil : ce qu’il a vu, ce qu’il demande.
Rolin Saint-Vil ne parle pas uniquement en théorie : il décrit le réel. Il raconte des familles qui encouragent leurs enfants à étudier, mais voient les espoirs s’éteindre quand vient l’heure des études supérieures. Il parle d’élèves prometteurs blessés par la distance, par les coûts, par l’absence d’infrastructure. Il évoque une jeunesse victime d’une injustice invisible : ce qu’elle a construit jusque-là ; réussite, discipline, assiduité ; ne suffit pas pour rester chez elle.
Pour lui, l’établissement d’une université ou d’une antenne d’enseignement supérieur à Camp-Perrin est une question de dignité. Ce n’est pas un luxe, c’est un besoin urgent. Il stipule que ce projet ne devrait pas se limiter à une faculté prestigieuse : il peut s’agir d’une structure adaptée, modeste, mais fonctionnelle — avec des filières professionnelles, techniques, agricoles, ou sociales. L’objectif : donner des outils concrets aux jeunes pour qu’ils restent, construisent, développent leur territoire.
Ce qu’il reste à faire — et ce que chaque acteur peut faire
• L’État central (MENFP, Rectorat de l’UEH, autorités éducatives) doit inscrire Camp-Perrin dans le plan national de développement de l’enseignement supérieur, envisager la création d’une antenne ou d’un institut public.
• Collectivités territoriales, élus locaux, communauté de la diaspora, société civile : identifier les ressources, mobiliser les financements, appuyer la construction d’infrastructures, encourager les partenariats.
• Population locale, parents, jeunes : maintenir l’engagement scolaire, soutenir le projet, faire pression citoyenne pour que l’idée ne reste pas lettre morte.
• Partenaires internationaux, ONG, bailleurs : investir dans l’éducation rurale, soutenir la formation, appuyer les jeunes, contribuer à l’égalité territoriale.
Conclusion : un appel, un espoir
Camp-Perrin est une terre d’élèves. Elle a prouvé qu’elle savait apprendre, réussir, former. Mais elle manque d’un pilier fondamental : l’enseignement supérieur. La commune mérite qu’on lui donne cette chance. Qu’une génération puisse étudier, rêver, bâtir, sans quitter sa terre d’origine. Qu’elle puisse transformer ses succès scolaires en potentialités réelles pour elle-même, pour sa communauté, pour Haïti.
Ce plaidoyer n’est pas seulement une demande, c’est un engagement moral et citoyen : il invite chacun à regarder la réalité en face, à sensibiliser, à agir. Pour que Camp-Perrin ne soit plus jamais orpheline d’université. Pour que ses élèves restent chez eux, formés, debout, et prêts à participer à l’essor d’un pays qui a tant besoin de ses propres enfants.
Ricardo Tcardo Nicolas
![Privé : [ID: LpqbzPd9bUs] Youtube Automatic](https://www.radiotelecaraibes.com/wp-content/uploads/2025/11/prive-id-lpqbzpd9bus-youtube-aut-60x60.jpg)




