À Jacmel, Cliford et Gaëlle Jasmin fêtent les 70 ans du Konpa en dansant vers l’avenir
Il est des gestes simples qui, portés avec justesse et amour, deviennent des actes de fondation. À Jacmel, au cœur d’un pays en quête de souffle, une poignée de jeunes s’apprête à vivre bien plus qu’une formation : une métamorphose. Du 21 au 25 juillet 2025, une cinquantaine de talents venus du Sud-Est d’Haïti participeront à une semaine intensive de transmission autour du Konpa et de la Meringue haïtienne, non comme on apprend une danse, mais comme on hérite d’un flambeau. Car ici, il ne s’agit pas seulement de rythmes ou de mouvements — il s’agit d’identité, de dignité, de devenir.
Ce projet, initié par Cliford et Gaëlle Jasmin, artistes pédagogues d’exception à la carrière internationale, a le parfum de ce qui manque tant à Haïti : une attention sincère portée à sa jeunesse. Ils ont choisi de revenir sur la terre natale non pour y cueillir les fruits de leur notoriété, mais pour y semer ce qui ne meurt pas : le goût de l’effort, la beauté du geste, la force du lien. Et ils le font en partant de ce que nous avons de plus noble : notre musique, notre art, notre corps.
Depuis sa naissance en 1955 grâce au génie de Nemours Jean-Baptiste, le Konpa accompagne l’histoire affective du peuple haïtien. Il est le son des retrouvailles, des bals populaires, des réconciliations muettes. Il est cette pulsation qui dit mieux que les mots que nous sommes toujours là, debout, enracinés dans nos contradictions, nos douleurs, mais aussi dans nos joies. À travers les décennies, cette musique a su s’adapter sans jamais trahir son essence. Elle est devenue un langage. Et aujourd’hui, ce langage cherche à être enseigné, codifié, transmis — non pour le figer, mais pour l’élever.
La formation organisée à Jacmel propose à de jeunes hommes et femmes, âgés de 20 à 35 ans, de devenir formateurs certifiés. Mais dans les faits, ce qu’elle propose est infiniment plus grand : elle leur donne une place. Une fonction dans le monde. Une manière d’exister autrement. À travers un encadrement rigoureux, une pédagogie soignée, des supports modernes et un accompagnement humain, chaque participant sera invité à découvrir en lui-même non seulement un danseur, mais un médiateur, un guide, un acteur social.
Car la danse, dans ce contexte, devient bien plus qu’un art. Elle devient langage thérapeutique. Lieu de réconciliation avec son corps, son histoire, et avec les autres. Elle installe les bases d’un respect mutuel, d’une discipline intérieure, d’un dialogue silencieux. Elle guérit les chairs blessées par l’indifférence, les regards baissés par le mépris. Elle redresse.
Et c’est bien cela qui rend cette initiative aussi puissante : elle part de la beauté pour produire de la transformation. Elle ne distribue pas des kits d’aide temporaire ; elle façonne des passeurs de culture, des tisseurs de liens, des entrepreneurs d’avenir. Les jeunes ainsi formés pourront enseigner dans les écoles, collaborer avec des structures communautaires, animer des centres culturels, intervenir dans les milieux touristiques, voire créer leur propre emploi. C’est un geste profondément structurant.
Et ce geste n’est pas isolé. Tandis que cette formation se déroule à Jacmel, Radio Télévision Caraïbes, elle aussi, s’engage dans une démarche admirable à l’occasion des 70 ans du Konpa. À travers une programmation spéciale, des portraits d’artistes, des débats, des archives sonores rares, des performances en direct, RTVC redonne au Konpa la place qu’il mérite dans l’imaginaire collectif. Elle honore ses origines, explore ses mutations, et ouvre ses possibles. Cette présence médiatique ne se limite pas à un accompagnement passif. Elle est une respiration. Elle est un relais. Elle est une main posée avec douceur sur l’épaule d’un héritage que l’on refuse de voir disparaître.
Dans un pays où l’urgence semble tout absorber, il est réconfortant de voir émerger ce qui relève de la vision à long terme. Une initiative comme celle-ci prouve qu’Haïti n’est pas condamnée à survivre dans la répétition du chaos. Elle peut aussi, si elle le décide, investir dans ce qui l’élève : l’art, l’éducation, la transmission, la jeunesse. Et c’est là tout le sens de ce projet. Il ne soigne pas simplement des blessures visibles. Il s’attaque à l’essentiel : la confiance. Celle que l’on a perdue en soi-même. Celle que l’on refuse trop souvent à nos enfants. Celle qui donne envie de rester, de bâtir, de créer.
Ces activités — qu’on aurait tort de qualifier de « culturelles » au sens faible du terme — sont, au contraire, des fondations invisibles mais essentielles. C’est par elles qu’on donne une colonne vertébrale à la société. C’est par elles qu’un pays se réinvente, pas à pas. En permettant à la jeunesse de se reconnaître dans ses danses, dans ses rythmes, dans ses symboles, on restaure la mémoire, on crée du lien, on donne des racines et des ailes.
Haïti n’a pas seulement besoin de réformes. Elle a besoin d’élans. Et cette formation à Jacmel en est un. Un élan lucide, généreux, incarné. Une réponse douce mais ferme à la violence du réel. Une déclaration d’amour à ce que nous sommes capables d’accomplir lorsque nous croyons encore que l’avenir mérite d’être dansé.

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