
Haïti : un membre du Conseil Présidentiel de Transition dénonce un climat de dysfonctionnement à huit mois de la fin du mandat
À moins de huit mois de la date prévue pour l’investiture d’un nouveau président et d’un nouveau Parlement, le processus politique censé conduire Haïti vers des élections démocratiques semble de plus en plus compromis. Le Conseil Présidentiel de Transition (CPT), mis en place en mars 2024 sous l’égide de la CARICOM et des États-Unis, fait aujourd’hui face à une crise interne profonde, marquée par des querelles intestines, des accusations de corruption, et un blocage quasi total de son fonctionnement.
Dans une lettre adressée à la presse et relayée par le Miami Herald, Frinel Joseph, l’un des deux membres observateurs du CPT, brise le silence. Nommé par la société civile, Joseph n’a pas droit de vote mais assiste aux délibérations du Conseil. Dans son texte, il dénonce une institution gangrenée par les conflits internes, incapable de remplir sa mission, et devenue source de suspicion et de désillusion dans la population.
« Le Conseil Présidentiel de Transition est bloqué à cause de luttes internes entre les membres votants, qui s’accusent mutuellement sur la place publique, alors qu’il ne reste qu’environ huit mois à leur mandat », écrit-il.
Dès ses premiers mois d’existence, le CPT a été secoué par un scandale de corruption. Trois membres votants — Louis Gérald Gilles, Smith Augustin et Emmanuel Vertilaire — ont été accusés d’avoir réclamé un pot-de-vin de 100 millions de gourdes à l’ancien directeur de la Banque Nationale de Crédit (BNC), Raoul Pierre-Louis, en échange du maintien de ce dernier à son poste. L’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) a conclu qu’il existait des éléments suffisants pour une enquête judiciaire. Mais malgré la pression, les trois membres ont refusé de démissionner.
Dans un souci de compromis, Gilles et Augustin ont renoncé à la présidence tournante du Conseil, mais cela n’a pas suffi à apaiser les tensions. La rotation elle-même, prévue par une résolution du 12 mai 2024, est vivement critiquée par Joseph, qui estime qu’elle viole l’accord initial du 3 avril 2024 et qu’elle introduit une instabilité nuisible au transfert de responsabilités.
Face à ces dérives, Joseph affirme avoir formulé plusieurs propositions internes, notamment l’adoption d’un code d’éthique pour encadrer les comportements des conseillers. Toutes ont été rejetées ou ignorées. Il dit également avoir demandé au Conseil de clarifier publiquement les rumeurs sur le niveau des rémunérations perçues par les membres et leurs proches — des montants qui, selon des rapports relayés dans la presse locale, atteindraient l’équivalent de plus de 76 millions de gourdes par mois par conseiller. Il qualifie ces chiffres d’« inexacts », mais regrette le silence du Conseil, qui laisse les rumeurs prospérer.
La dernière réunion du CPT en tant qu’organe collégial remonterait à plus de deux mois. Entre-temps, les membres se sont lancés dans une guerre de déclarations, s’accusant mutuellement de nominations politiques abusives et d’entrave au bon fonctionnement du gouvernement. La question des postes diplomatiques est particulièrement sensible : le président actuel du Conseil, Fritz Alphonse Jean, accuse le ministère des Affaires étrangères d’avoir procédé à des centaines de nominations. En retour, Smith Augustin accuse Jean et son allié Leslie Voltaire d’avoir recommandé personnellement 14 des 26 ambassadeurs proposés.
Malgré ces tensions, Joseph tente de mettre en lumière quelques réalisations, comme la désignation de Didier Fils-Aimé en remplacement de Garry Conille au poste de Premier ministre. Mais il déplore le manque de respect des textes fondateurs, et l’incapacité du Conseil à s’élever au-dessus des intérêts partisans.
Pendant que les membres du Conseil s’entre-déchirent, la situation sur le terrain continue de se détériorer. Plus de 2 600 personnes ont été tuées cette année dans des violences liées aux gangs, selon les Nations Unies. Le nombre de déplacés atteint un nouveau record de 1,3 million. La majorité du territoire national est en proie à l’insécurité, y compris des zones en dehors de la capitale.
Le déploiement de la mission internationale de sécurité dirigée par le Kenya reste incertain, le référendum constitutionnel est toujours en suspens, et aucune date n’a encore été fixée pour les élections promises. La crédibilité du Conseil est au plus bas, tant sur la scène nationale qu’internationale.
La lettre de Frinel Joseph soulève une question fondamentale : le Conseil Présidentiel de Transition est-il encore capable d’assurer sa mission ou faut-il envisager un autre mécanisme pour sortir Haïti de l’impasse ? La communauté internationale observe avec préoccupation, tandis que les Haïtiens — privés d’élections depuis l’assassinat de Jovenel Moïse en 2021 — perdent chaque jour un peu plus confiance dans les institutions.
À mesure que l’échéance de février 2026 approche, l’incertitude plane sur l’avenir politique du pays. Et si rien ne change rapidement, le Conseil Présidentiel de Transition risque de s’effondrer sur lui-même — emportant avec lui les derniers espoirs d’un retour à la normalité institutionnelle.
RTVC – Radio Télévision Caraïbes
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