Nemours Jean-Baptiste à travers ses ans
Par Nazaire Joinville – Version révisée
1ère publication: Juillet 2018
Malgré ses 70 années d’existence, le Compas direct (Konpa dirèk) demeure aussi vivant qu’à ses débuts. Impossible toutefois de parler de ce genre musical sans évoquer celui qui en est le créateur incontesté : Nemours Jean-Baptiste.
En effet, ce musicien d’exception s’est entièrement consacré à l’essor de la culture haïtienne. C’est avec honneur que je vous présente le parcours de cet homme dont l’œuvre a profondément marqué l’histoire musicale d’Haïti.
Nemours Jean-Baptiste voit le jour à Port-au-Prince le 2 février 1918. Il est le fils de Lucia Labissière, couturière, et de Clément Jean-Baptiste, cordonnier. Troisième d’une fratrie de quatre enfants – André, Monfort et Altagrace – Nemours perd ses parents alors qu’il est encore scolarisé, ce qui interrompt prématurément ses études. Les enfants sont alors pris en charge par des membres de la famille, mais vivent dans des conditions précaires.
Il fréquente brièvement les institutions Jean Marie Guilloux et Saint Louis de Gonzague, sans y poursuivre longtemps sa scolarité. Pour subvenir à ses besoins, il devient coiffeur, métier qu’il exerce avec passion tout en partageant avec ses clients sa fascination pour la musique.
Dans les années 1940, Nemours se lance véritablement dans la musique. Autodidacte, il apprend à jouer du banjo, de la guitare, puis du saxophone, avec le soutien de son ami Antoine Duverger. Sa première grande prestation se fait au sein du groupe “Les Frères Guignard”, où il remplace Duverger au pied levé. Sa performance remarquée lui vaut un cachet de 150 gourdes, une somme importante pour l’époque.
C’est lors d’un bal qu’il rencontre Marie Félicité Olivier, qu’il épouse le 28 septembre 1946. De leur union naîtront trois enfants, dont Marie Denise (décédée à l’âge de deux ans), Yvrose et Yves Nemours.
Avant de fonder son propre ensemble, Nemours intègre plusieurs formations musicales. Il lance d’abord “Le Conjunto International”, aux côtés de musiciens chevronnés tels que Julien Paul, Anilus Cadet, Webert Sicot et son frère Monfort Jean-Baptiste. Il collabore ensuite avec d’autres groupes comme “Anacaona”, “Djaz Atomik”, et “Djaz Atomik Junior”.
La date du 26 juillet 1955 marque un tournant décisif dans sa carrière. Ce jour-là, coïncidant avec la fête de Sainte-Anne, il présente pour la première fois le Compas direct, dont les fondements rythmiques restent alors en développement. Cette journée est aujourd’hui reconnue comme la naissance officielle de cette musique, devenue depuis, la musique populaire par excellence en Haïti.
Après une collaboration avec Jean Lumarque, propriétaire du célèbre club Aux Calebasses, son ensemble prend le nom de “Ensemble Aux Calebasses”, se produisant régulièrement dans ce lieu mythique. Des différends avec Lumarque le poussent plus tard à rejoindre le Palladium, un autre haut lieu musical de la capitale.
En 1961, grâce à Lumarque, Nemours et son groupe se produisent pour la première fois aux États-Unis. Le 5 juillet de cette même année, il reçoit une plaque d’honneur et mérite lors d’une cérémonie à l’Organisation des Nations Unies.
Au début des années 1960, le groupe prend le nom de “Ensemble Nemours Jean-Baptiste” et devient une figure emblématique du club Cabane Choucoune. En 1963, répondant à la demande du public, Nemours participe pour la première fois au carnaval de Port-au-Prince.
En juillet 1967, il perd un œil à la suite d’un glaucome. Cette épreuve marque le début d’une série de difficultés physiques et personnelles.
L’essor de la mouvance “mini-djaz” dans les années 1970, avec des groupes comme “Tabou Combo”, “Skah Shah” et “Shleu Shleu”, entraîne un recul de sa popularité. Il émigre alors aux États-Unis, principalement à New York, laissant la scène haïtienne aux nouvelles générations. En 1972, il revient en Haïti et dirige le groupe “Top Compas” rapidement rebaptisé “Super Combo de Nemours Jean-Baptiste”. Il continue à se produire avec régularité, bien que sa carrière ne suive plus la même trajectoire ascendante.
Il connaît toutefois un succès notable aux Antilles et en France avec le tube “Ti Carole” au début des années 1970, qui reste classé pendant six mois dans le hit-parade de Radio France Inter. Ce titre demeure son seul grand succès en dehors d’Haïti.
La dernière décennie de sa vie, entre 1975 et 1985, est marquée par l’adversité. Oublié par certains, il connaît toutefois un regain de reconnaissance en 1980 lors d’une grande fête célébrant les 25 ans du Compas au club Olympia Palace, organisée par Eddy Zamor. Il y est salué comme une légende vivante.
En 1981, il partage la scène avec son éternel rival Webert Sicot. Cette même année, il est confronté à de graves problèmes de santé : atteint d’un cancer de la prostate et désormais aveugle, son état se dégrade rapidement. Sa famille l’exhorte à se faire soigner aux États-Unis, mais il choisit de finir ses jours en Haïti, affirmant que sa vraie valeur ne serait reconnue qu’après sa mort.
Nemours Jean-Baptiste s’éteint le 18 mai 1985, le jour même des funérailles d’une autre icône de la musique haïtienne, Ti Manno. S’il était encore en vie, 2025 marquerait son centenaire.
Son héritage est inestimable. Comme le chante “Tabou Combo” dans son hommage intitulé “Hommage à Nemours” sorti en 1980 :
“Li pa ban nou lajan, li pa ba nou travay, men li ban nou konpa. Ala yon bèl eritaj sa a.”
Traduction française: “Il ne nous a pas donné de l’argent ni du travail, mais il nous a légué le compas. Quel bel héritage !”
Nazaire Joinville

![Privé : [ID: dzPAIAbu4KQ] Youtube Automatic](https://www.radiotelecaraibes.com/wp-content/uploads/2025/08/prive-id-dzpaiabu4kq-youtube-aut-60x60.jpg)







